Vase Art Déco Léopoldville, Val Saint-Lambert, 1927
Une pièce de verrerie rare et exceptionnelle et l’une des plus étonnantes réalisations des Cristalleries du Val Saint-Lambert. Elle synthétise à elle seule les techniques les plus pointues qui aient fait la réputation internationale du site de Seraing, près de Liège en Belgique, depuis le milieu du XIXè siècle.
Petite-fille de Vonêche, fille de Baccarat et soeur de Saint-Louis, c’est au tournant du XXIè siècle et à la faveur de l’émergence de l’Art Nouveau que la cristallerie liégeoise parvient à se différencier de ses parentes et à s’imposer sur les marchés internationaux du grand luxe. Ses principaux clients? Les Tsars de Russie et les Maharadjahs indiens, sans oublier de riches collectionneurs anglo-saxons jusqu’outre-Atlantique. Elle n’hésitera pas à faire appel à des talents étrangers, notamment français, comme les célèbres frères Müller, afin de d’étudier et développer diverses techniques telles que le cristal coloré doublé voire triplé, taillé à la roue ou dégagé à l’acide, la fluogravure, ou encore l’émaillage, qui complètent la palette des techniques traditionnelles de soufflage et de gravure. S’y ajoute la galvanoplastie, qui consiste à appliquer une fine couche de métal sur la surface du cristal, une véritable spécificité et spécialité du Val Saint-Lambert. La haute technicité de ses productions est très vraisemblablement corrélée à l’essor du bassin liégeois dans l’ingénierie, la métallurgie, et donc à la présence de savoir-faire technique et de ressources telles que le charbon et les cours d’eau.
Si la Première Guerre Mondiale met un terme abrupt à cet élan à la fois industriel et artistique, il ne faudra à la cristallerie que peu de temps pour retrouver des couleurs au sortir de la guerre. Il se fait qu’à ce moment, l’Art Nouveau, organique et floral, commence à céder la place à une géométrisation et une stylisation annonciatrices de l’Art Déco, qui naît officiellement à Paris en 1925. Symétrie, simplification, pureté des formes, des lignes et des couleurs font très bon ménage avec le talent des souffleurs et la précision des tailleurs de cristal du Val Saint-Lambert. C’est dans ce contexte favorable que s’inscrit le savoir-faire de maîtres-verriers visionnaires tels que Charles Graffart, qui imprimera sa griffe durant plusieurs décennies, mais aussi de l’atelier artistique de la cristallerie sous la direction de Modeste Denoël et Lucien Petignot.
C’est dans cet atelier, de 1918 à 1929, que sont conçues et mises en oeuvre des techniques combinant taille et travail de gravure, dégagement à l’acide, pièces satinées et galvanoplasties. Or les Cristalleries du Val Saint-Lambert fêtent en 1926 leur centenaire. C’est le moment où Modeste Denoël dessine et réalise le chef-d’oeuvre et exploit technique que représente le vase « Léopoldville », officiellement présenté publiquement en 1927 en tant que pièce d’exposition du savoir-faire du Val Saint-Lambert.
De forme gourde à col étroit, il tire sa thématique de l’art et de la culture africaine. La forme et le décor taillé en pointes des quatre médaillons ovales évoquent des boucliers africains, tandis que l’entourage argenté par galvanoplastie est taillé et gravé de feuillages stylisés entourant des pans taillés et traités en fond de type « tapisserie » incolore tels les bras d’un large fleuve majestueux. La référence au Congo, alors unique mais richissime colonie belge est confirmée par le nom de cette oeuvre, « Leopoldville », qui fut capitale du Congo belge jusqu’à la déclaration de l’indépendance du Congo en 1960 et rebaptisée « Kinshasa » en 1965 lorsque le pays devint le Congo-Kinshasa.
Stylistiquement, le vase exprime à merveille les codes de l’Art Déco, en poussant la stylisation jusqu’aux limites de l’abstraction, sans pour autant occulter les références à l’Afrique au moyen des formes et des couleurs. La forme gourde et les dimensions évoquent la cabosse, fruit du cacaoyer contenant les fèves de cacao. Autour des médaillons pouvant représenter des boucliers africains, l’argenture gravée de feuillages stylisés rappelle vraisemblablement la végétation luxuriante et exotique du pays, liée à la présence de l’eau du fleuve Congo. Ce qui permet d’interpréter les pans incolores à fond travaillé du vase comme autant de références au cours d’eau.
Esthétiquement, cette pièce d’exception séduit par sa sobriété tout en sophistication et technicité. Le coloris pourpre ou violet “évêque” reste assez rare dans les productions du Val Saint-Lambert, et sert ici en qualité de rehauts pour les reliefs . Quant à la partie en galvanoplastie, elle est tout simplement hors catégorie. Traditionnellement, c’est le cuivre qui est utilisé en galvanoplastie pour un rendu proche du bronze. Mais Modeste Denoël a choisi de ne pas s’en contenter, et lui a préféré une argenture complètement opaque, lisse, généreuse, brillante et très sensuelle au toucher.
Le vase cadre ainsi parfaitement avec l’esprit Art Déco incarné par exemple par le Chrysler Building de New York. Il n’est donc guère surprenant que cette pièce hors norme ait été retenue pour représenter en exposition l’étendue du savoir-faire technique at artistique des Cristalleries du Val Saint-Lambert — un détail qui en sublime l’attrait, la caractère de véritable pièce de collection, et la valeur. Il s’agit sans conteste de l’un de nos plus intenses coups de coeur en arts verriers.
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